Je respire où tu palpites...
Victor Hugo
La valse, de Rodin
Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées; le monde n'est qu'un égoût sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.
On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux, mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit: j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
Alfre de Musset, On ne badine pas avec l'amour
Bilal
Tu es mon amour depuis tant d'années,
Mon vertige devant tant d'attente,
Que rien ne peut vieillir, froidir;
Même ce qui attendait notre mort,
Ou lentement sut nous combattre,
Même ce qui nous est étranger,
Et mes éclipses, et mes retours.
Fermée comme un volet de buis
Une extrême chance compacte
Est notre chaîne de montagnes,
Notre comprimante splendeur.
Je dis chance, ô ma martelée;
Chacun de nous peut recevoir
La part de mystère de l'autre
Sans en répandre le secret;
Et la douleur qui vient d'ailleurs
Trouve enfin sa séparation
Dans la chair de notre unité,
Trouve enfin sa route solaire
Au centre de notre nuée
Qu'elle déchire et recommence.
Je dis chance comme je le sens.
Tu as élevé le sommet
Que devra franchir mon attente
Quand demain disparaîtra.
René Char, "A..."
Heureux les amants que nous sommes
Et qui demain loin l'un de l'autre
S'aimeront par-dessus les hommes.
Brel
"L'Araignée d'amour", Henri Cartier Bresson
Ils vont le geste sûr
Les haies lentement s'écartèlent
Un long silence pose son empreinte
Petit matin d'eau lente
avec au bord des rives les arbres
toujours
espace ouvert avec ses feuilles
d'un vert tendre feutré
Tout est calme donné
la douceur de vivre
la respiration des choses
Comme une aile qui va d'un visage à l'autre
Un silence qui glisse sur la table
subrepticement entre les mots échangés
On dit qu'un ange passe
Un ange ou tout simplement le bonheur d'être là
ensemble
de savoir que certains êtres vous sont comme
des torches
du petit bois ramassé pour allumer un feu.
Véronique Joyaux, Haies Vives
Il fallait bien qu'un visage réponde
à tous les noms du monde.
Eluard
Lorsque ta main est là
Dans ma paume fermée
Lorsque ton pas résonne
A côté de mon pas
Lorsque la nuit abat
Notre double fatigue
Lorsque l'aube salue
Notre vie étoilée
Lorsque j'entends ta voix
Qui traverse les arbres
Je sais que tout est dit
Et le temps s'abolit.
Georges Jean, "1er juillet 1971"
Ils contemplent le monde
Sans le reconnaître.
Ils ne savaient pas qu'il était si beau.
- On ira, toi et moi, jusqu'au bout du monde.
- Oh oui, jusqu'au bout du monde. Et même un peu plus loin.
- On n'aura jamais peur. De personne. De rien.
- Oh non, pourvu qu'on soit ensemble.
- On fera des choses immenses, inouïes, insensées.
- Oh oui, des choses simples extraordinairement.
F. David, Oh! Les amoureux
Tout est poésie à qui va en silence
Boire à même l'amour entre ses mains qui prient.
Marc Alyn
J'ai passé les portes du froid
Les portes de mon amertume
Pour venir embrasser tes lèvres
Ville réduite à notre chambre
Où l'absurde marée du mal
Laisse une écume rassurante
Anneau de paix je n'ai que toi
Tu me réapprends ce que c'est
Qu'un être humain quand je renonce
A savoir si j'ai des semblables.
Eluard, "Anneau de paix"
Bilal
Cet amour
si violent
si fragile
si tendre
si désespéré
Cet amour
beau comme le jour
et mauvais comme le temps
quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
si heureux
si joyeux
et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
et si sûr de lui
comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
qui les faisait parler
qui les faisait blêmir
Cet amour guetté
parce que nous le guettions
traqué blessé piétiné achevé nié oublié
parce que nous l'avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
si vivant encore
et tout ensoleillé
c'est le tien
c'est le mien
celui qui a été
cette chose toujours nouvelle
et qui n'a pas changé
aussi vraie qu'une plante
aussi tremblante qu'un oiseau
aussi chaude aussi vivante que l'été
Nous pouvons tous les deux
aller et revenir
Nous pouvons oublier
et puis nous rendormir
nous réveiller souffrir vieillir
nous endormir encore
rêver à la mort
nous éveiller sourire et rire
et rajeunir
notre amour reste là
têtu comme une bourrique
vivant comme le désir
cruel comme la mémoire
bête comme les regrets
tendre comme le souvenir
froid comme le marbre
beau comme le jour
fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
et moi je l'écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
je crie pour moi
Je le supplie
pour toi pour moi et pour tous ceux qui s'aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
pour toi pour moi et pour tous ceux que je ne connais pas
Reste là
là où tu es
là où tu étais autrefois
Reste là
ne bouge pas ne t'en vas pas
nous qui sommes aimés
nous qui t'avons oublié
Toi ne nous oublie pas
nous n'avions que toi sur terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
et n'importe où
donne-nous signe de vie
beaucoup plus tard au coin d'un bois
dans la forêt de la mémoire
surgis soudain
tends nous la main
et sauve nous.
Prévert, "Cet amour"
Bilal
Le moindre de mes atomes t'appartient intimement.
Walt Whitman
Se voir le plus possible et s'aimer seulement,
Sans ruse et sans détour, sans honte ni mensonge,
Sans qu'un désir nous trompe ou qu'un remord nous ronge
Vivre à deux et donner son coeur à tout moment;
Respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge,
Faire de cet amour un jour au lieu d'un songe
Et dans cette clarté respirer librement. [...]
Musset
Alors que finissait la journée estivale,
Nous marchions, toi pendue à mon bras, moi rêvant
A ces mondes lointains dont je parle souvent.
Aussi regardais-tu chaque étoile en rivale.
Au retour, à l'endroit où la côté dévale,
Tes genoux ont fléchi sous le charme énervant
De la soirée et des senteurs qu'avait le vent.
Vénus, dans l'ouest doré, se baignait triomphale.
Puis, las d'amour, levant les yeux languissamment,
Nous avons eu tous deux un long tréssaillement
Sous la sérénité du rayon planétaire.
Sans doute, à cet instant deux amants, dans Vénus,
Arrêtés en des bois aux parfums inconnus,
Ont, entre deux baisers, regardés notre terre.
Charles Cros, "Sonnet Astronomique"
Bilal, Animal'Z
Ses rêves en plein lumière
Font s'évaporer les soleils.
Paul Eluard
Chagall, Les amoureux aux marguerites
Je te l'ai dit pour les nuages
je te l'ai dit pour l'arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l'oeil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l'ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent.
Eluard
Rodin, La cathédrale
Si c'était à recommencer,
je te rencontrerai sans te chercher.
Eluard
Des milliers et des milliers d'années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d'éternité
Où tu m'as embrassé
Où je t'ai embrassé
Un matin dans la lumière de l'hiver
Au Parc Montsouris à Paris
A Paris
Sur la terre
La Terre qui est un astre.
Prévert
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour y boire
J'ai vu tous les soleils y venir s'y mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
A l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue des tabliers des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
le manteau de Marie accroché dans la crêche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leur secret gémeaux
L'enfant accaparé par les belles images
Ecarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'aout
J'ai retiré ce radium de le pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
Louis Aragon, "Les yeux d'Elsa"
Louis Aragon et Elsa Triolet, photo d'archives
Je t'aime et bientôt je mourrai,
J'ai accompli ce long voyage pour te voir simplement te toucher.
Tant j'avais crainte de mourir sans te connaître,
Tant j'avais crainte de te perdre dans l'au-delà.
Nous nous sommes vus, nous nous sommes reconnus, nous ne craignons plus rien.
Rien vraiment ne nous sépare
Vois l'immense courbure, la ronde cohésion du monde si parfaite.
Whitman
Chagall, Les amoureux
Les mots n'ont pas si grande importance.
Qu'avons-nous à dire dans la vie, sinon bonjour, je t'aime
et je suis là encore pour un peu de temps, vivante sur la même terre que toi.
Christian Bobin
Camille Claudel, L'abandon
Nous deux nous tenant par la main
Nous nous croyons partout chez nous
Sous l'arbre doux sous le ciel noir
Sous tous les toits au coin du feu
Dans la rue vide en plein soleil
Dans les yeux vagues de la foule
Auprès des sages et des fous
Parmi les enfants et les grands
L'amour n'a rien de mystérieux
Nous sommes l'évidence même
Les amoureux se croient chez nous.
Eluard
Follement
Si follement
Serrés l'un contre l'autre
Mais la pire folie
Ne serait-ce
de se déserrer un moment?
F. David, Oh! Les amoureux
Klimt, L'arbre de vie
Là où tu te trouves, le monde existe.
Shakespeare, Henri IV