Secrets d'alcôve
Les petits carnets que les contes ont préféré garder secrets...
- textes de Noëmie Joyaux
- photos de Monika Jurga (https://picasaweb.google.com/109378017122539533062)
Confidences de petites filles
qui ont grandi
La fille aux allumettes:
Cette nuit-là, seule la petite est morte en moi.
La fille est restée,
le temps d'éparpiller les cendres
et de comprendre comment relancer la flamme.
Je ne vivoterai plus à la lueur triste des souvenirs
mais me brûlerai les doigts aux promesses de demain.
Pourquoi vivre d'allumettes
quand on peut apprendre à cultiver des incendies?
Gretel:
J'aime parfois encore me perdre
dans la noirceur des forêts,
fouler de mes pieds nus le désert des sentiers
et m'enrubanner de silence.
Pour le plaisir de soudain regagner la lumière,
voir que je connais toujours la couleur des clairières,
le sens du chemin.
Le chaperon rouge:
Il y a longtemps que je ne me cache plus
sous mon manteau d'enfant à capuchon pointu.
J'ai arraché les fils et taillé à grands coups de lame
dans le rouge du tissu
pour ajuster ma robe, apaiser les coutures.
Je reviens quelquefois narguer les loups
et marcher sur le fil des lisières,
juste pour vérifier
la résistance de ma nouvelle armure.
Alice:
Dans les volutes opiacées des narguilés,
et les saveurs hallucinogènes des amanites,
je continue de chercher le chemin.
Celui qui saura me ramener
là où, toute petite, je savais trouver
un monde où vivre éternellement à l'heure du thé,
entourée de chats du Cheshire,
de chapeliers illuminés
et de chenilles sybillines.
Il n'est pas si facile d'apprivoiser les miroirs.
Poucette:
Entre ses mains je reste toujours
la délicate
la fragile
la minuscule.
Une graine de poussière
qui guette le premier souffle de vent
pour gonfler les voiles de sa robe et se laisser emportée
vers ces horizons lointains
où l'on peut reprendre son souffle,
réapprendre à grandir.
Boucle d'Or:
Avant que mes cheveux ne se couvrent d'or blanc,
je voudrais trouver celui
qui saura porter à mes lèvres des nectars ni trop froids ni brûlants
et dans les bras de qui
les lits ne me sembleront plus si grands.
Je ne suis plus une petite fille mais il me semble encore
que rien en ce monde
n'est vraiment à ma taille.
Secrets de fées claires et obscures
La fée Clochette:
Toutes les nuits je sens les ténèbres
tendre vers moi leurs bras de satin
pour m'attirer dans une étreinte veloutée.
Inlassablement, je brode
des feux follets aux volants de ma robe
et des noeuds d'étoiles filantes à mes poignets,
pour me rallier à la brillance du ciel.
Aussi tendre soit la nuit,
je m'en tiendrai à la lumière.
La fée Carabosse:
J'ai choisi la lignée des papillons de nuit
et tourné le dos aux promesses du jour.
Se laisser fondre dans un ciel tourmenté,
réapparaître pour affrioler les orages et danser entre les éclairs
est plus grisant en plein ténèbres
que sous le regard brûlant du soleil.
L'ombre de Peter Pan:
A trop vouloir vivre dans son ombre,
j'ai perdu toute substance
et cédé à la noirceur
le droit de m'enténébrer.
Je n'ai plus que la silhouette sur les os
et ma mémoire pour me rappeler
celle que j'ai pu être avant de l'aimer.
Petits carnets de princesses oubliées
Cendrillon:
Si je dois m'agenouiller encore une fois dans la cendre,
ce sera seulement pour souffler sur les braises
et rallumer la flamme de ce qui doit être embrasé.
Je bannirai le froid,
je refuserai toute tiédeur.
Plutôt me consumer que vivre à petit feu.
La petite sirène:
Pour toi,
j'ai effeuillé une à une mes écailles
et déchiré la soie liquide de ma robe d'écume.
Ma peau est devenue dentelle
où s'infiltre en courant d'air
la poudre de chaque tesson de verre
que tu sèmes sans le voir
dans le sillage de tes pas.
La princesse au petit pois:
Dans l'immensité de ce lit vide,
entre les rouages grinçants de mes pensées
comme sur la pointe de mon épine dorsale,
toujours je sens le petit poids.
Hypocrite rondeur dont les tranchants me rappellent
qu'il faut être deux pour écraser la solitude.
La belle au bois dormant:
J'ignorais que je dormais
avant que tu n'extraies ma vie
de la nuit ronde où je tournais sans fin.
J'ouvre les yeux et je découvre
ce qu'être vivante veut dire.
Raiponce:
Si dans le vif de la soie
je tranchais soudain ma chevelure
saurais-tu encore trouver le fil diaphane
qui me relie à toi?
La femme de Barbe-Bleue:
Funambule en quête de vertiges
cherche homme capable d'aimer jusqu'à la déraison
pour danser à deux sur le fil de la passion
et former le duo le plus ardent
de parfaits fous alliés.
La Belle:
Ne me laisse pas seule trop longtemps.
Je crains toujours que le silence ne m'amène
à faire plus ample connaissance avec moi-même
et que de l'eau plate de mes miroirs
surgisse le monstre
que les autres croient reconnaître en toi.
Blanche-Neige:
Cent fois je mordrai dans la pomme
et me noierai dans les venins
pour goûter à l'indicible plaisir
de sentir tes baisers
me ramener à la vie.
Shérazade:
J'attendrai la mille et unième nuit
celle où tu verras enfin
les étoiles que j'ai su enfiler pour toi à mes cheveux
et les forêts de santal que j'ai brûlées
pour imprégner ma peau de parfums hypnotiques.
J'attendrai cette nuit-là,
où tu sauras ouvrir les yeux
sur les terres amères que j'ai sucrées de sable roux
pour adoucir le goût de tes errances,
sur les oasis que j'ai appris à faire fleurir en plein désert.
J'attendrai la mille et unième nuit
et plus encore peut-être,
le premier matin.
Ondine:
Je me refuse à quitter la fraîcheur des rivières
et la clarté des torrents
pour revenir sur la terre ferme des rivages.
Seuls les courants d'eau vive
connaissent les tours de passe-passe
qui changent les pièces rouillées en pépites de soleil
et les tessons de verre en petits diamants sauvages.
Peau d'âne:
Le temps qui passe peut bien rider et plisser mes robes,
restent toujours autour de moi
les étoffes couleur de lune et de soleil
que tu tends sur mes nuits
que tu tends sur mes jours
et qui me tiennent en éclat.